18 février 2006

L'approche indirecte des réactions du marché

Introduction à la méthode Cheskin

« La haute direction des entreprises déplore souvent que le personnel des ventes et du marketing semble incapable de mesurer avec précision certains facteurs comme l'efficacité probable d'une publicité proposée ou les chances de succès d'un nouveau produit, même quand on lui demande “d'aller chercher la réponse sur le terrain”. L'objet du présent article est d'examiner l'une des principales raisons pour lesquelles la notion de réaction du marché demeure moins tangible et moins directement vérifiable que, par exemple, les coûts de production ou les devis techniques, et d'exposer, principalement au moyen d'exemples, le type d'approche qui peut aider à prendre de meilleures décisions en matière de marketing. » C'est en ces mots que Louis Cheskin introduisait une toute nouvelle approche en marketing en 1948 dans la plus prestigieuse publication de l'époque en ce domaine, la Harvard Business Review.

Aujourd'hui, près de 50 ans plus tard, cette introduction demeure d'une étonnante actualité compte tenu du taux d'échecs de 90% des nouveaux produits. Sur 10 nouveaux produits, un seul passera le cap des 12 mois. Si le contexte a changé profondément au cours des 50 dernières années, plusieurs des produits qui ont survéçus avec succès à l'évolution des marchés furent lancés avec la méthode Cheskin et sont toujours sur les tablettes. Au fil des ans, la méthode Cheskin est devenue un véritable secret du succès marketing. Ceux et celles qui la connaissent en parlent très peu. Ce blogue vient briser ce silence à commencer par cet article de 1948 signé par Louis Cheskin et son complice de l'École d'administration de l'Université Havard, L.B. Ward. Cet article a marqué l'histoire du marketing et je me suis fait un devoir de le faire traduire pour la première fois en français par un professionnel agréé pour les clients de ma firme de recherche marketing. Bonne lecture !
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L'Approche Indirecte des Réactions du Marché

par Louis Cheskin et L.B. Ward

Harvard Business Review, Volume XXVI, Numéro 5, September 1948.


La haute direction des entreprises déplore souvent que le personnel des ventes et du marketing semble incapable de mesurer avec précision certains facteurs comme l'efficacité probable d'une publicité proposée ou les chances de succès d'un nouveau produit, même quand on lui demande “d'aller chercher la réponse sur le terrain ”. L'objet du présent article est d'examiner l'une des principales raisons pour lesquelles la notion de réaction du marché demeure moins tangible et moins directement vérifiable que, par exemple, les coûts de production ou les devis techniques, et d'exposer, principalement au moyen d'exemples, le type d'approche qui peut aider à prendre de meilleures décisions en matière de marketing.

Beaucoup d'exemples cités, surtout dans les dernières sections proviennent des résultats de recherche du Color Research Institute of America. Même si ces résultats, dans une certaine mesure, ne font que confirmer des facteurs du comportement humain déjà révélés par d'autres chercheurs et que les spécialistes de la recherche en marketing connaissent très bien maintenant, ils présentent un intérêt particulier parce qu'ils proviennent d'un domaine offrant un riche potentiel d'applications commerciales, mais qui n'a jamais été exploré d'une manière systématique. Il est d'ailleurs important d'observer que malgré l'évidence ou la nouveauté de ces exemples, beaucoup d'études de marché négligent encore de prendre en considération ces nouvelles connaissances.


Les facteurs inconscients du comportement.

Dans une large mesure, les efforts consacrés aux études de marché, à la conception des produits, aux campagnes de publicité, etc. s'appuient sur une hypothèse non vérifiée selon laquelle les consommateurs savent ce qu'ils veulent quand ils choisissent un produit populaire. Pourtant, il n'est pas nécessaire d'être psychiatre, psychologue ou spécialiste des études de marché pour savoir que toutes sortes de raisons peuvent inciter les gens à acheter, dont un grand nombre ne sont pas considérées consciemment au moment même de l'achat.

Les sciences sociales, dans notre pays, portent un intérêt croissant aux déterminants inconscients du comportement et sont grandement redevables aux psychanalystes dans ce domaine. Bien que la communauté scientifique, dans son ensemble, soit encore loin d'accepter sans réserve la psychanalyse, beaucoup de nos connaissances modernes sur le comportement humain sont le fruit d'observations où l'approche psychanalytique a joué un rôle important.

Quoi qu'il en soit, les spécialistes des sciences sociales reconnaissent généralement que nos gestes quotidiens sont déterminés par des facteurs dont nous ne sommes pas conscients. Nous savons tous que nous oublions la majorité des détails de nos expériences quotidiennes. En revanche, on ignore souvent que certaines expériences « oubliées » continuent parfois d'exercer une influence considérable sur notre comportement. Même si l'on reconnaît généralement l'importance des facteurs psychologiques, beaucoup de tentatives visant à résoudre les problèmes du commerce et de l'industrie avec les méthodes des sciences sociales continuent d'ignorer les habitudes, les intentions, les motivations et les besoins inconscients qui déterminent le comportement.

On pourrait citer d'innombrables exemples montrant que les individus achètent sous l'influence de facteurs inconscients. Voici un cas typique, tiré d'une étude récente qui traite de l'incidence d'emballage de savon vendu dans une épicerie peut avoir sur les ventes. On a placé sur les étagères un même savon présenté sous deux emballages différents. Or, le savon présenté dans un emballage donné s'est vendu presque deux fois plus que le savon présenté sous un autre emballage. Il est pourtant certain que la ménagère moyenne ne se rend pas délibérément à l'épicerie pour acheter des produits en fonction de leur emballage; elle y va pour acheter du savon, du jambon, des légumes, des fruits, etc. Il arrive peu souvent qu'elle tienne compte consciemment du contenant des produits qu'elle achète. Pour montrer que les personnes, ayant acheté le savon, n'avaient pas tenu compte consciemment de l'emballage, on a observé leur réaction après leur avoir dit qu'elles avaient été influencées par l'emballage du savon. Si les clientes n'allaient pas jusqu'à laisser entendre que l'observateur était dérangé, par l'expression de leur visage, elles mettaient en doute le bien-fondé de ce qui leur était dit au sujet du savon. Quoi qu'il en soit, on ne peut douter que l'emballage ait été le facteur déterminant, puisque c'était l'unique critère de différenciation.


Les lacunes de l'approche directe.

La méthode la plus simple et la plus utilisée dans les études de marché consiste à demander à des personnes ce qu'elles achètent, quelles publicités elles ont vues ou entendues, pourquoi elles achètent un produit donné, quels sont les types de produits qu'elles préfèrent, etc. Il s'agit d'une approche directe, qui permet d'obtenir des renseignements précieux. Lorsque les questions posées ont trait à ce qu'une personne a fait récemment (par exemple, “Quelle marque de café avez-vous achetée la dernière fois? ”), les réponses peuvent être assez justes.

Néanmoins, même avec de telles questions, il arrive parfois que des personnes refusent de répondre correctement, et les réponses à des interrogations précises peuvent être ainsi complètement fausses. Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur cet aspect de la question, car la plupart des lecteurs bien informés savent déjà ce qu'il en est. En outre, diverses techniques ont été mises au point pour compenser les erreurs ainsi engendrées. Nous allons nous contenter de donner un ou deux exemples illustrant le genre de choses qui peut se produire.

Dans une grande ville, on a posé diverses questions à un certain nombre de personnes. À la question “Vous arrive-t-il d'emprunter de l'argent dans un établissement de prêts personnels? ”, toutes les personnes interrogées ont répondu “Non ”. Pourtant, les registres d'un établissement de prêts local indiquaient que toutes ces personnes avaient fait un emprunt récemment. Un autre exemple concerne les magazines que les gens prétendent avoir lus. Si l'on tenait pour exactes les réponses d'un grand nombre de personnes à la question “Quels magazines lisez-vous? ”, on pourrait conclure que le tirage de la revue Atlantic Monthly est six fois plus élevé qu'il ne l'est en réalité, tandis que les petites revues à quatre sous, publiées à des millions d'exemplaires, n'exercent qu'un attrait négligeable. La crainte de paraître peu cultivé a visiblement influencé les réponses à cette question.

Quand on demande à quelqu'un de se rappeler en détail ce qu'il a vu ou entendu récemment (par exemple, s'il a vu ou non une publicité donnée), la réponse a encore plus de chance d'être erronée. L'expérience suivante l'a bien démontré. On a présenté à un groupe de médecins un certain nombre d'épreuves de publicités portant sur des produits médicaux et pharmaceutiques. À chacun, on a demandé : “Avez-vous déjà vu ces publicités auparavant? ” Or, l'une d'entre elles n'avait jamais été publiée, et les médecins ne pouvaient donc pas l'avoir vue. Pourtant, 12 % à 14 % des médecins ayant participé à l'étude ont affirmé qu'ils avaient déjà vu la publicité en question. Quelques semaines plus tard, on a interrogé le même groupe de médecins, auquel on a présenté un autre ensemble de publicités comprenant la publicité non publiée qu'on leur avait montrée antérieurement. Cette fois, cependant, tous les médecins avaient déjà vu cette publicité puisqu'on leur avait présenté lors de l'entrevue précédente; pourtant, seulement 12 % à 14 % des médecins ont déclaré l'avoir déjà vue. De toute évidence, la réponse des sujets disant avoir vu la publicité n'avait que peu de rapport avec le fait qu'ils l'aient réellement vue.

Bien que ces résultats ne révèlent pas l'effet que la publicité ait pu avoir sur les médecins qui l'ont vue mais ne s'en souvenaient pas, nous aurions tort de conclure qu'elle n'a eu aucun effet sur eux. Une approche indirecte aurait peut-être révélé que la publicité a influencé les médecins même si ceux-ci ne se rappelaient pas l'avoir déjà vue. Quand une question directe montre que des individus ne se souviennent pas d'une expérience, une approche indirecte permet souvent de constater que dans certaines conditions les sujets peuvent se souvenir au moins de quelques éléments. L'expérience suivante l'a bien démontré.

On a demandé à quarante personnes de faire le tour d'une pièce et d'observer attentivement son contenu. Une fois sorties de la pièce, elles ont été priées de dresser la liste de tous les objets qu'elles y avaient vus. Parmi les articles se trouvant sur une des tables, il y avait une paire de ciseaux. Seulement trois des quarante personnes participant à l'expérience ont rapporté avoir vu les ciseaux. À ce stade de l'expérience, on a retiré les ciseaux de la pièce, sans toucher au reste des articles qui s'y trouvaient. On a ensuite demandé à chaque sujet de retourner dans la pièce et de découper des formes simples dans du carton de couleur qui s'y trouvait. De toute évidence, il fallait se servir des ciseaux. Sur les quarante sujets, vingt-quatre ont dit qu'ils étaient certains d'avoir vu une paire de ciseaux dans la pièce. Pourtant, seulement trois d'entre eux s'étaient souvenus de la paire de ciseaux en dressant la liste des objets. Comme on le voit, la nécessité d'utiliser les ciseaux pour effectuer une tâche a rappelé aux sujets qu'ils les avaient vus lors de leur première visite.

S'il est difficile de savoir ce que les gens ont fait et de découvrir l'effet de ce qu'ils ont vu ou entendu, il est encore plus difficile de prévoir ce qu'ils feront. On peut parfois prévoir ce que quelqu'un fera dans certaines situations, mais il est difficile de savoir ce qu'il fera dans beaucoup d'autres situations. La plupart du temps, les gens ne savent pas du tout ce qu'ils feront. Tout au plus peuvent-ils dire ce qu'ils projettent de faire. Ici aussi, l'approche indirecte sera très révélatrice et fera souvent ressortir certains facteurs qui influencent le comportement des individus.

Les études de marché actuelles présentent une autre difficulté. Souvent, au cours de ces études, on demande à un certain nombre de personnes le produit qu'elles préfèrent parmi un ensemble de produits de conception différente ou le type d'emballage, parmi plusieurs, leur conviendrait le mieux, etc. Le problème, avec ce type d'études, c'est qu'elles nous apprennent seulement laquelle est la meilleure publicité, la meilleure présentation ou la meilleure conception d'un produit. Elles nous apportent peu d'information sur ce que vaut vraiment le meilleur article ou sur la façon de l'améliorer.

Ce qu'il nous faut, c'est la connaissance de tous les facteurs déterminant les décisions au point de vente. Même s'il est souvent impossible de connaître tous ces facteurs, un examen attentif et systématique visant à déterminer quels sont les plus importants, par le biais de l'analyse du comportement humain plutôt que par des questions directes, permettra au bout du compte d'améliorer considérablement les méthodes de mise en marché. C'est alors seulement qu'il deviendra vraiment possible de préparer et d'évaluer une publicité, la conception d'un produit ou un programme de vente.


Les facteurs influant sur l'achat d'un produit.

Quels sont les facteurs qui déterminent les préférences d'achat de la population en général ou de larges segments de celle-ci? Certains de ces facteurs se rapportent aux qualités abstraites du bien acheté : couleur, éclat, présentation visuelle, forme tridimensionnelle, texture ou sensation au toucher, odeur, etc. D'autres, comme les marques de commerce, s'apparentent à des significations, des interprétations et des attitudes communes qu'éveille une caractéristique particulière du produit.

Qualités abstraites. Les travaux du Color Research Institute of America constituent un bon exemple d'étude systématique de certains facteurs abstraits influant sur le comportement dans des situations présentant un intérêt commercial particulier. Comme son nom l'indique, l'Institut a entrepris des études dans le domaine de la couleur en analysant le rôle qu'elle joue dans la vie quotidienne de la majorité des gens. On a d'abord expérimenté l'approche directe, en demandant à des individus quelles étaient les couleurs de base qu'ils préféraient. En l'absence d'un consensus sur le sens à donner aux divers noms des couleurs, il a fallu évidemment montrer des exemples aux sujets, généralement sous la forme d'échantillons. C'est ainsi qu'on leur a présenté des couleurs, des nuances, des teintes et des tons, dans le but de déterminer leurs préférences. Dès le début de ces études, toutefois, on a constaté que les couleurs préférées des sujets étaient différentes de celles des objets dont ils s'entouraient ou de celles qu'ils choisissaient quand ils achetaient quelque chose. À la suite de cette constatation, on a voulu déterminer indirectement quelles étaient les couleurs préférées des gens. Au moyen d'études indirectes, on a déterminé les couleurs préférées des individus d'après leur choix de couleurs pour les récompenses offertes en remerciement de leur participation à des études axées de toute évidence sur un autre objectif.

On s'est rapidement rendu compte qu'il n'était pas nécessaire d'obtenir une préférence pour chaque nuance, teinte, ou couleur que les sujets pouvaient distinguer. On a découvert que certaines lois régissaient la réaction des gens aux couleurs, de sorte qu'en connaissant les préférences individuelles pour certaines couleurs, il était possible de prévoir dans quelle mesure ils pouvaient avoir une préférence pour d'autres couleurs, tons teintes, etc. On a remarqué par exemple que certaines nuances obtenaient des taux de préférence progressivement plus élevés et d'autres des taux de préférence progressivement moins élevés lorsqu'on affaiblissait avec une quantité croissante de blanc ou qu'on les neutralisait avec une quantité croissante de gris. On a ainsi établi que les six principales couleurs du spectre visible constituaient des critères de référence fort commodes pour déterminer les préférences de couleurs. En règle générale, les gens ont une réaction soit favorable, soit défavorable à chacune de ces couleurs. Leur réaction à l'égard des autres facteurs (teintes, tons et nuances) et d'autres couleurs dépendait de leur degré de similitude avec ces couleurs de référence, déterminées selon la couleur, le ton, la brillance, etc. Ainsi, une personne peut aimer beaucoup le bleu vif, un peu le bleu clair et bien moins le bleu le plus pâle, tout en réagissant favorablement à toutes ces teintes. D'autre part, si cette même personne n'aime pas le vert, les teintes un peu plus verdâtres que le bleu original seront choisies moins souvent selon leur degré de similitude avec le vert.

Qu'est-ce qui détermine la préférence d'une personne pour certaines couleurs? Naturellement, il n'y a pas de réponse complète à une question de ce genre. Cependant, des études sur les différences entre les préférences pour les couleurs chez divers groupes de personnes ont fourni des renseignements fort intéressants. Ainsi, certaines teintes obtiennent constamment un taux de préférence plus élevé chez les hommes que chez les femmes et vice versa. Plus particulièrement, les hommes semblent préférer le rouge orangé vif et les tons vifs en général, tandis que les femmes auraient une préférence pour le magenta, le turquoise et les tons pastel. Il est intéressant de noter que les hommes et les femmes sont plus souvent d'accord dans leurs préférences dans le cas des couleurs neutres contenant une forte proportion de gris.

Les études sur les préférences pour les couleurs faisant appel à l'approche indirecte ont aussi montré qu'en plus des préférences générales ou fondamentales, il existe de nettes différences sur le plan géographique, à l'échelon national et selon les diverses nationalités. Par exemple, on a observé qu'un certain rouge orangé, dont la cote est relativement plus élevée chez les Italiens et les Mexicains que chez les populations scandinaves et celles de l'Europe de l'Est. On a aussi constaté un lien entre les préférences et le caractère d'une collectivité. Un vert gazon, par exemple, a une cote de préférence faible chez les membres des collectivités rurales, tandis qu'il a une cote très élevée chez les gens vivant dans le voisinage d'une aciérie.

Même si les données actuelles sont encore incomplètes, les observations permettent de croire que certains facteurs, notamment géographiques, ayant trait à la région où un individu a vécu, ont un lien plus étroit avec le degré de préférence pour les couleurs « pures » (par exemple le rouge plutôt que le bleu), etc., tandis que le type de collectivité et les facteurs économiques caractéristiques d'une collectivité donnée ont plus d'influence sur les préférences ayant trait aux différences entre les valeurs des couleurs (c'est-à-dire les teintes, les tons et les nuances d'une couleur donnée). Toutes ces conclusions, si elles sont étayées par d'autres études, pourraient avoir des incidences intéressantes sur la manière dont se développent les préférences pour les couleurs. Dans l'état actuel des choses, toute tentative visant à expliquer pourquoi un groupe préfère certaines couleurs tandis qu'un autre groupe préfère d'autres couleurs serait pure spéculation, et cette explication dépendrait uniquement de la notion que l'on peut avoir de la personnalité et de la manière dont les individus acquièrent des habitudes, des attitudes, des goûts et des aversions, etc.

Dans la même veine, il faudrait peut-être souligner que dans toutes les études où l'on a observé des préférences collectives bien définies, beaucoup de sujets ont montré des réactions inhabituelles ou extrêmes à l'égard de certaines couleurs, comme d'autres avaient des préférences complètement différentes de celles du groupe. Certains psychanalystes ont fait d'importantes découvertes à ce sujet et ont soutenu que des phobies ou des aversions extrêmes à l'égard de certaines couleurs pouvaient remonter à des expériences traumatisantes de la première enfance. Ainsi, la technique psychanalytique a permis de découvrir que certains individus ayant une aversion pour le rouge vif avaient vécu une ou plusieurs expériences désagréables où cette couleur était présente.

L'étude des couleurs a toutefois démontré que la couleur à elle seule ne pouvait expliquer que dans une très faible mesure la préférence d'une personne pour certains objets, certaines publicités, etc. L'aspect et les formes visuelles sont certainement des éléments importants pour l'individu. Ici encore, l'approche directe, suivant laquelle on demande au sujet d'indiquer quel concept de produit il préfère ou quel est l'objet le plus beau d'un ensemble, fournit des renseignements erronés. Voici deux exemples pour le démontrer :

(1) On a réalisé une étude pour déterminer, entre deux emballages, lequel obtenait la préférence. L'un était très élaboré et comprenait cinq couleurs, tandis que l'autre était simple et n'avait que deux couleurs. On a montré aux sujets les deux emballages faisant l'objet de l'étude, de même que quatre autres présentés à des fins de comparaison. On a ensuite demandé aux sujets : “Parmi ces six emballages, lequel préférez-vous pour ce produit? ” Ceux-ci ont choisi, et de loin, l'emballage le plus élaboré.

Ensuite, on a demandé aux participants de choisir parmi plusieurs noms celui qui devrait être donné au produit. Ceux qui choisiraient le nom éventuellement donné au produit en recevraient une certaine quantité en récompense. On leur a aussi demandé, incidemment, de désigner à l'avance, parmi les six emballages, celui qui devrait servir à l'expédition de leur prix, dans le cas où ils gagneraient. Cette fois, le jugement des individus devait porter sur le nom du produit, tandis que ceux-ci devaient choisir dans quel emballage le produit leur serait expédié, et non pas lequel leur semblait « le meilleur ». Dans cette partie de l'étude, l'emballage a été nettement préféré à l'emballage élaboré, dans une proportion plus de trois fois supérieure.

(2) On a aussi effectué une étude similaire avec des foulards. On a demandé aux femmes participant à l'étude quel foulard était le plus beau parmi les six qu'on leur présentait. Presque toutes ont choisi le numéro 6. Ensuite, on a organisé avec le même groupe de femmes un concours visant à trouver le nom d'un produit, en leur offrant un foulard en guise de prix. Or, seulement 10 % des femmes ayant jugé que le foulard numéro 6 était le plus beau l'ont choisi comme prix. Au cours de cette étude, on a pu observer clairement que beaucoup de ces femmes choisissaient leur prix consciencieusement et délibérément, en tenant compte de l'usage qu'elles feraient du foulard et de la façon dont il s'apparenterait avec leurs vêtements et leur teint.

Quand on demande à des gens ce qu'ils pensent de la qualité d'un objet ou s'ils aiment une couleur, leur attention se porte sur l'objet ou sur la couleur, et ils adoptent le rôle d'un critique d'art. Pourtant, dans une situation d'achat concrète, les gens ne tiennent pas compte habituellement d'un facteur comme la présentation ou ne le jugent pas selon les mêmes critères. De plus, comme les études l'ont bien montré, le fait d'avoir une attitude favorable à l'endroit d'une présentation ou d'une couleur ne signifie pas nécessairement que cette attitude se concrétisera par une action.

Ces études révèlent également qu'il existe de très nettes différences entre les groupes d'individus en ce qui concerne les réactions aux formes et aux motifs visuels, malgré le fait, encore une fois, qu'un grand nombre de sujets ont consciemment tendance à établir une association entre complexité et menu détail d'une part et art « véritable » d'autre part. Parmi la diversité des formes et des modèles qui existent, ovales, rectangles, triangles et spirales, les différences individuelles en matière de préférences sont si grandes qu'il est un peu hasardeux d'établir des généralisations utiles. Cependant, on a pu distinguer des tendances générales, comme une préférence, dans l'ensemble, pour la forme ovale simple plutôt que le rectangle. De même, on observe, selon les sexes, des différences de préférences pour les formes visuelles, les hommes optant pour les formes anguleuses et les femmes pour les formes curvilignes. Somme toute, en raison de la diversité infinie des formes visuelles possibles, la comparaison d'après des cotes de préférence générale se limiterait aux formes les plus simples. De plus, il est probable que la forme visuelle soit aussi l'une des principales sources de signification, un facteur d'une très grande importance que nous examinerons plus loin.

La visibilité, ou ce qu'on pourrait appeler l'accroche l'oeil, est un autre aspect de l'expérience visuelle. De toute évidence, cette qualité dépend non seulement de l'objet, de la partie de l'objet ou de la publicité qui intéressent un individu, mais aussi du contexte dans lequel ils apparaissent. En effet, le degré de contraste entre la partie vers laquelle l'attention est dirigée et le reste qui se trouve dans le champ visuel est un facteur important. On peut mesurer avec un instrument optique la brillance de ce qui est perçu. Des études plus approfondies pourraient montrer que la différence entre la brillance de l'objet ou de la publicité qu'on doit étudier et celle de ce qui l'entoure peut servir à en évaluer la visibilité. Pour obtenir une évaluation utile, il faudrait toutefois tenir compte de beaucoup d'autres facteurs. L'un de ces facteurs serait la lisibilité du texte faisant partie de la forme visuelle. De même, la facilité de reconnaissance des objets représentés sur un emballage ou dans une publicité ou des marques faites sur l'objet serait une caractéristique importante.

Dans d'autres études, on a observé que certains types de couleurs, de formes, d'odeurs, de motifs et de sons avaient un meilleur taux de rappel que d'autres. Certaines couleurs, comme les tons de pêche, obtiennent une cote de préférence élevée, mais n'ont pas un bon taux de rappel. En revanche, le jaune, qui obtient habituellement une cote de préférence peu élevée, a généralement un meilleur taux de rappel. En ce qui concerne les formes visuelles, les plus simples sont généralement mieux retenues, même s'il ne semble pas y avoir une corrélation entre la cote de préférence et le taux de rappel.

Significations et motivations. Même après avoir obtenu les cotes de préférence communes des couleurs, des motifs, des formes, des sons, des odeurs, etc., il subsiste certaines réactions générales à l'égard de la « signification » et de l'usage de l'objet, qui modifient radicalement les préférences. D'ailleurs, c'est seulement en réduisant au minimum la signification et en considérant l'usage général plutôt que l'usage spécifique qu'il est possible de déterminer les préférences à l'égard de ces qualités abstraites. C'est pourquoi le magenta obtient l'une des cotes de préférence générale les plus élevées parmi les couleurs, alors que sa cote tombe très bas dès que l'on considère son usage dans la cuisine (murs, rideaux, ustensiles, etc.). Ici encore, le rose et les tons de pêche obtiennent une cote de préférence beaucoup plus élevée que d'habitude quand ils sont associés aux cosmétiques et beaucoup moins élevée quand ils sont associés aux articles de quincaillerie; l'inverse est également vrai en ce qui concerne les tons de bleu. Certains verts, qui obtiennent des cotes de préférence élevées dans bien des situations, ont des cotes faibles quand ils sont associés aux produits alimentaires. Un autre type de vert a une cote de préférence élevée quand il est associé aux bijoux et une cote faible quand il est associé aux cosmétiques.

Toutes ces observations illustrent l'effet considérable que peuvent avoir la signification et l'usage. Pour désigner commodément cet effet, on peut emprunter aux psychanalystes le terme de « symbolisme ». Il ne fait aucun doute que tous les types de symbolismes exercent une influence profonde sur les préférences pour les couleurs, les motifs, les formes visuelles, les sons, les odeurs, etc. Ce facteur (symbolisme) a une influence incontestable sur toutes nos réactions aux qualités abstraites de l'expérience immédiate.

Beaucoup d'autres facteurs qui exercent une influence, consciemment ou inconsciemment, sur le comportement des individus présentent un grand intérêt sur le plan commercial. Tout le monde sait fort bien que la majorité des gens n'aiment pas paraître sous un jour défavorable aux yeux des autres. Ce désir de bien paraître prend d'ailleurs plus d'importance dans certaines situations. Les psychanalystes désignent ce comportement par le terme « investissement du moi ». Lorsque, en situation d'achat, l'individu estime que ce qu'il achète exercera une influence favorable sur la perception que les autres auront de lui, les psychanalystes disent qu'il investit son moi. Dans la vie de tous les jours, nous aimons tous, consciemment ou inconsciemment, faire des choses qui inspirent le respect à notre égard. L'important n'est pas que ces choses incitent les autres à avoir une bonne opinion de nous. Ce qui importe, c'est que nous nous conduisions en croyant qu'ils ont une telle opinion.

La mode pour dame démontre très bien l'importance de ce facteur. Il y a certainement des milliers de femmes qui, personnellement, n'aiment pas le style « new-look ». Pourtant, beaucoup parmi celles qui s'y opposent seraient prêtes à tout sauf à porter en public une jupe de style 1940 ou 1941. (Il est à remarquer que cet article fut publié pour la première fois en 1948). Les hommes, pour leur part, n'enlèvent jamais leur cravate, même quand ils sont mal à l'aise. Ils ne portent plus aujourd'hui des vêtements aux couleurs vives comme ils le faisaient il y a quelques générations ou comme certains le font encore dans d'autres régions du monde. Nous cherchons à nous conformer à un modèle. Nous voulons nous intégrer au groupe auquel nous appartenons. Si nos vêtements ne correspondent pas à la mode actuelle, nous nous sentons embarrassés ou mal à l'aise.

Dans maintes situations d'achat, on peut aussi observer l'existence de facteurs contradictoires chez un même individu. Les personnes qui vendent des vêtements pour dames assistent souvent à des scènes comme la suivante.

Dans une boutique de mode, une jeune femme dit à la vendeuse que l'une des robes qu'elle a essayées lui va parfaitement, comme si elle avait été conçue pour elle. Cette robe est faite en quatre couleurs : corail, fuchsia, turquoise et chartreuse. La jeune femme affirme d'emblée qu'elle n'aime pas la robe corail. Elle hésite beaucoup entre fuchsia, une couleur qui va bien avec son teint, lui a-t-on souvent dit, chartreuse, une couleur mise en valeur dans un magazine qu'elle a lu récemment, et turquoise, une couleur qu'elle adore. La psychologie de cette situation peut se résumer ainsi : dans le cas des couleurs corail et turquoise, la jeune femme réagit en fonction de son goût personnel, tandis que dans le cas des couleurs fuchsia et chartreuse, elle est consciente du fait que l'une améliore son apparence et que l'autre la fera passer pour une femme chic.

En supposant que cette femme ne peut acheter qu'une seule robe, laquelle choisira-t-elle? Évidemment, tout dépend de sa personnalité et de son humeur du moment. Si c'est une personne particulièrement indépendante et sûre d'elle-même, qui ne se soucie pas trop de l'avis des autres en matière de mode, elle choisira probablement la robe turquoise, car elle aime cette couleur. Si elle se soucie particulièrement de son teint et souhaite améliorer cet aspect de son apparence, elle choisira probablement la robe fuchsia. Enfin, si elle accorde une grande importance à la reconnaissance sociale et aux tendances de la mode, elle choisira sans doute la robe chartreuse, même si elle n'aime pas cette couleur.

Les données recueillies jusqu'à présent ne sont qu'indicatives, mais des entrevues menées avec des femmes qui venaient tout juste d'acheter des vêtements ont montré qu'en cas d'opposition entre leur préférence personnelle pour une couleur et le désir de paraître à la mode ou de choisir une couleur qui les avantage, seulement 20 % des femmes environ choisissent la couleur qu'elles préfèrent personnellement, tandis que le désir de paraître à la mode ou d'améliorer leur apparence l'emporte respectivement dans 40 % des cas. Cela montre bien l'influence primordiale de certains facteurs autres que les qualités abstraites dans les situations comme celles que nous venons de décrire.

D'autre part, certaines observations montrent que même si, au moment de l'achat, c'est le désir d'être à la mode ou de rehausser notre position sociale qui domine, les préférences personnelles reprennent le dessus lorsqu'il s'agit de l'usage des biens. Ainsi, les femmes qui ont acheté deux robes, l'une de couleur à la mode et l'autre de couleur qu'elle aime particulièrement, ont tendance à porter celle dont elles préfèrent la couleur plus souvent que celle dont la couleur est à la mode. Une femme, notamment, avait acheté deux manteaux : l'un parce que “le bleu est à la mode, cette saison ”, et l'autre parce qu'elle aimait le beige. Sur une période de quatre semaines, elle a porté le manteau bleu trois fois et le manteau beige vingt et une fois.

Évidemment, les facteurs autres que la couleur qui exercent une influence sur l'achat d'articles de mode sont beaucoup plus nombreux et plus complexes. Mais les exemples simples que nous venons de présenter illustrent l'objectif premier de cet article, soit de montrer les bienfaits qu'une recherche bien orientée peut permettre de réaliser dans un domaine précis, qui constitue bien sûr une partie seulement d'un ensemble beaucoup plus vaste.

Les études de ce genre ont diverses conséquences dans le domaine du marketing et de la mise en marché. En effet, nous devons non seulement connaître les préférences naturelles du marché en ce qui concerne les couleurs, les formes, etc., mais nous devons aussi tenir compte des autres motifs inconscients qui incitent les gens à faire leur choix. C'est pourquoi, en publicité, il faut créer des situations axées sur les significations et les motivations appropriées si nous souhaitons exploiter les préférences naturelles des divers groupes d'acheteurs pour certaines couleurs. Lorsque des produits concurrents sont de qualité égale, comme c'est le cas des cigarettes, notamment, on doit motiver le client à acheter une marque donnée en ayant recours à des facteurs plus complexes, comme le désir d'être à la mode, de suivre l'usage, d'acquérir du prestige, etc.

Or, seules les méthodes indirectes d'approches des segments du marché à étudier permettent de déterminer quelle est l'influence de ces facteurs et dans quelle mesure la publicité parvient à éveiller la motivation souhaitée. On ne peut pas vraiment connaître l'effet d'une publicité ou les raisons qui ont incité un individu à acheter un produit en demandant à ce dernier pourquoi il l'a choisi ou ce qu'il pense de telle publicité. Si les gens d'affaires accordaient plus d'importance à ces méthodes indirectes pour déterminer ce qui est susceptible de se vendre et si des études systématiques étaient entreprises pour savoir quels sont les principaux types de motivations qui mènent à l'action, on épargnerait beaucoup de temps et d'argent.

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Louis Cheskin et L.B. Ward

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2 Comments:

At 6:37 a.m., Anonymous Anonyme said...

Bonjour Serge André,

Votre compte-rendu est magnifique. Vous donnez vraiment de la dimension et de la noblesse au marketing comme discipline humaine et le soulevez au-dessus d'un simple domaine de connaissances pratiques pour "vendre du kit", comme le dirait si bien Sergio Zyman. Ce que j'ai senti dans votre approche dès ma première visite à votre site, c'est non seulement un profond respect pour l'être humain mais aussi une grande admiration pour la subtilité des mécanismes emotionnels, mentaux et physiques qui nous constituent.

De plus, après avoir entendu parler du travail de Cheskin, je me suis rué aux librairies et bibliothèques à la recherche de ses oeuvres. Quelle frustration! Je n'ai RIEN trouvé publié par lui. Pire encore, personne ne le mentionne ou ne le reconnais dans les ouvrages habituels de marketing. L'annonce de votre livre m'a rempli de satisfaction, sachant que j'allais finalement pouvoir être présenté à ce génie. Je lis votre livre depuis hier et, franchement, c'est un véritable délice!

C'est plus qu'un livre. C'est une contribution gigantesque à la communauté francophone. Toutes mes félicitations!

Au plaisir,

Martin

 
At 1:38 p.m., Blogger Unknown said...


Bonjour Monsieur André

Je m'appelle Sadate Aboudou GANDI. Je suis togolais et je âgé de 29ans.

Je viens à peine de finir la lecture de votre livre "comment motiver les consommateurs à l'achat". C'est par hasard je l'ai retrouvé sur Google, et puisse que le libre était gratuit , alors j'ai décidé de le télécharger. Et franchement je n'en reviens pas. Devant l'évidence de vos idées, je suis obligé de réactualiser toutes mes connaissances. comment faites vous pour transmettre aussi clairement vos idées ? Votre désir de partager vos idées, c'est quoi votre motivation ?

Sacré Louis CHESKIN, j'ai l'impression que je me retrouve devant un extra-terrestre, devant un Einstein.

Bref, moi j'aimerais le plus rapidement possible me lancer dans le marketing. Et j'aimerais m'inspirer de votre exemple.

Ici au Togo, personne n'a foi en la connaissance. Tout le monde compte sur la chance, beaucoup prie Dieu pour tout et aussi pour obtenir le succès dans leurs projets. Comme vous pouvez vous en doutez, échec par ci et échec par là. C'est bien écrit dans le Saint Coran de ne " s'engager dans quelque chose que si on a la connaissance du domaine ". Mais........

 

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